Si l'histoire des sciences est de
plus en plus présente par exemple dans l'enseignement
universitaire,ses méthodes et son rôle sont encore loin de
faire l'unanimité. Le recueil de textes réunis et
présentés par Jean-Francois Braunstein est  une
synthèse bienvenue et équilibrée. Certains de
ces  textes sont d’ ailleurs peu connus en France, d’autres 
apparaissent pour la première fois en traduction. 
Les textes les plus anciens rappellent qu'à sa naissance, en
1830, chez Auguste Comte, l’histoire des sciences prétendait
à des visées philosophiques, qu’elle n’a d’ailleurs pas
abandonnées, au moins dans le courant dominant de la tradition
francaise, de Canguilhem à Bachelard et Foucault. 
Trois débats fondateurs sont apparus autour des années trente du siècle passé  : 
  - 
Internalisme ou externalisme. Peut-on expliquer le
développement scientifique par des facteurs internes à la
science ou doit-on avoir recours à des causes  externes (en
particulier sociales)?
 Des exemples classiques sont ceux de l’analyse marxiste de l oeuvre de
Newton par Boris Hessen (cf.1), ou l’oeuvre de Needham visant à
expliquer  les blocages de la science en Chine-une question non
encore résolue.
- 
    Continuité ou discontinuité dans le développement des sciences ?
 Ce débat a été longtemps dominé par les
figures d Alexandre Koyré (1892-1964) et de Gaston Bachelard
(1884-1962). Thomas Kuhn (1922-1996) a poursuivi dans leur voie en
distinguant entre les périodes de «science normale»
et
les  périodes de «science 
révolutionnaire»
où naissent de nouveaux paradigmes (à rapprocher
des  ruptures épistémologiques
althussériennes).
- Enfin un troisième débat : Quel regard doit-on avoir
au  présent sur les sciences du passé, faut-il les
juger ? 
Ces questions ont stimulé la recherche,mais ont produit
aussi   une opposition  très vive entre le
courant anglo-saxon et l’ école européenne d’histoire des
sciences. Les acteurs principaux en France  sont bien
représentés dans le recueil, on pourra regretter 
l’absence de penseurs plus proches de l’épistémologie
(Cavaillès, par exemple, pourtant souvent évoqué ).
La  partie finale  montre la persistance des
débats aujourd’hui.On retiendra le développement du
courant “sociohistorique  (‘’science studies’’) avec à son
origine la figure émouvante et trop mal connue ici de 
Ludwig Fleck (1896-1961), dont un texte passionnant sur les
représentations du squelette est traduit pour la première
fois (2 ) .
Ce courant sociologiste connait parfois des excès latourniens
,par exemple quand des  «ethnohistoriens des sciences» s’avisent
d’étudier des laboratories japonais en oubliant
délibérément  qu’il s’agit de laboratoires.
Un autre élément nouveau du paysage de l’histoire des
sciences est l’introduction de la notion de style de pensée
scientifique due au grand historien  Alistair Crombie
(1915-1996), reprise par Ian Hacking (1936)  entre autres, qui a
su opérer avec brio des rapprochements entre les courants
majeurs de la discipline. 
 Si l’articulation entre histoire et philosophie des sciences
reste  en débat ,on ne pourra qu’approuver le choix en
conclusion  du  texte de l’excellente historienne 
Lorraine Daston (3) qui propose de nouvelles pistes de réflexion
avec ce qu’elle appelle «l’épistémologie
historique», une histoire des categories qui modèlent la
pensée.
Vaste programme !
 
  - Hessen  Boris. Les
racines sociales et économiques des Principia de Newton: Une
rencontre entre Newton et Marx à Londres en 1931. Vuibert .
- Fleck Ludwig. Genèse et développement d’un fait scientifique, Flammarion 2008.
- On attend la traduction en francais de l’important “Objectivity “ écrit avec Peter Galison.