Ω, à la limite des mathématiques
Hasard et complexité en mathématiques. Gregory Chaitin.
Flammarion, Nouvelle bibliothèque scientifique, 2009
ISBN : 978-2-0821-0568-2,28 E
Gregory Chaitin a fait toute sa carrière de
mathématicien-informaticien au centre de recherches d'IBM
à New-York. Son livre est un apercu, pour
non-spécialistes, de ses principaux travaux, ce qui explique
l'enthousiasme de l'auteur,et ses efforts de pédagogie. Mais le
succès est-il au rendez-vous ?
Chaitin s'est appuyé sur la notion de programme informatique
pour donner une définition mathématique rigoureuse de ce
qu'est un «nombre aléatoire», un nombre
(réel, avec une infinité de décimales) choisi au
hasard. Il s'est inspiré pour cela d'idées introduites
par Emile Borel au début du vingtième siècle.
On définit d'abord la complexité d'un nombre quelconque
par l'intermédiaire de la longueur d'un programme informatique
minimal le définissant. Un nombre aléatoire est un nombre
tel que tout programme permettant de calculer les N premières
décimales est de longueur sensiblement égale à N.
Chaitin a ainsi posé les fondements (indépendamment du
célèbre mathématicien Andrei Kolmogorov), d'une
nouvelle discipline,la théorie algorithmique de l'information.
Après un exposé historique tout à fait abordable
de la célèbre «hypothèse du continu»
posée au début du vingtième siècle, puis du
résultat (1931) de Kurt Gödel sur l'incomplétude
(selon lequel Il existe des faits mathématiques vrais mais
indémontrables),qui a ruiné les espoirs de l'école
axiomatique de David Hilbert, Chaitin explique simplement les travaux
d'Alan Turing,inventeur de l'ordinateur –la machine de Turing – sur le
problème de l'arrêt, en 1936 . Le problème de
l'arrêt est le suivant : existe-t-il un programme universel
permettant d'indiquer si un autre programme arbitrairement donné
s'arrête au bout d'un nombre fini d'étapes?
La réponse donnée par Turing est négative.
Ensuite, Chaitin nous présente le nombre mystérieux Ω
(omega) qu'il a inventé il y a trente ans et qui symbolise en
quelque sorte les limites de la connaissance mathématique
puisqu'il fait intervenir tous les programmes informatiques
(donnés avec leur longueur) qui s'arrêtent. Ce nombre
mystérieux est un nombre réel d'une complexité
maximale, il est incompressible, c'est à dire qu'aucun programme
ne peut en donner les N premières décimales en moins de N
lignes de programme. Autrement dit il est incalculable. Mais
malgré tout il paraît «presque calculable», et
Chaitin explique ses principales propriétés .
Les mathématiciens adoptent dans leur pratique des attitudes philosophiques variées, voire opposées.
Chaitin participe à un courant semi-empiriste,qui
considère les mathématiques comme une discipline
expérimentale au même titre que la
physique,l'expérience se faisant sur ordinateur (Parmi eux : D.
Bailey, J. Borwein, D. Zeilberger). L'argument principal de Chaitin
à l'appui de cette thèse est le suivant :
Contrairement à l'opinion des mathématiciens
«classiques»,le résultat d'incomplétude n'est
pas un fait isolé, la plupart des énoncés
mathématiques,en particulier les plus intéressants
d'entre eux, sont inaccessibles à toute démonstration,il
vaut mieux chercher à les verifier expérimentalement ou
heuristiquement.
Les revues mathématiques se sont ouvertes à cet
état d'esprit. On cherche activement des méthodes
informatiques de recherche d'énoncés
intéressant,ou de démonstrations,ou de
vérification de preuves. Le courant de recherches se
développe. On pourra consulter à ce sujet le site de
Doron Zeilberger.
Les outils très puissants de l'informatique ont aussi produit
dans certains cas un surdimensionnement de l'ego (Exemples:
Benoît Mandelbrot et ses fractals, Stephen Wolfram et ses
automates cellulaires). Gregory Chaitin, quand il ne se place pas dans
la lignée de Leibniz se situe aux côtés des grands
maîtres Gödel et Turing (D'ailleurs Kolmogorov est
bizarrement oublié de l'index du livre), et veut nous faire
prendre son nombre Omega pour le Graal.
Les notes du traducteur ou les compléments introductifs
(très approximatifs) auraient dû chercher à
corriger cette autoglorification qui tourne au ridicule. Le dernier
paragraphe s'intitule «Contre l'excès d'ego».
On ne saurait mieux conclure.