Religious Mysticism and mathematical creativity
Loren Graham and Jean-Michel Kantor, Harvard University Press, May 2009.
Dossier de presse
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La Quinzaine Littéraire 16-07-2009.
Bernard BRU. RELIGIONS ET MATHEMATIQUES
Pour nommer, il faut croire et
aimer
Loren Graham, Jean-Michel Kantor,
Naming Infinity. A true story of religious mysticism and mathematical creativity,
Cambridge, The Belknap Press of Harvard University Press, 2009.
On a remarqué depuis longtemps de curieux
rapprochements entre deux mondes apparemment sans point commun, les
mathématiques, la science positive et rationnelle par
excellence, et la mystique, cette pratique sans base théorique
reconnue, qui prétend mettre les hommes en relation directe avec
un lieu inconnu au-delà des corps et de toute autre joie, le
lieu de la prière. Dans la mystique chrétienne, cette
convergence s’observe dès les premiers siècles. À
la suite de Plotin et d’Origène, certains pères du
désert, ces mystiques de l’extrême,
enseignaient que la prière et l’arithmétique sont deux
pratiques qui se correspondent. Une part de la littérature
mystique médiévale reprend cette tradition, tenue pour
déviante ou hérétique par les hiérarchies
religieuses. Pour leur part, les historiens de la pensée
religieuse comme ceux des mathématiques la tiennent assez
généralement pour peu sérieuse, en tout cas
marginale ou folklorique.
On sait également que, plus récemment, Cantor, le
fondateur de la théorie des ensembles, prétendait que
pour voir ses infinis nouveaux il fallait se placer dans le champ
immense des « mathématiques libres »,
c’est-à-dire, in intellectu divino, là où les
nombres transfinis sont aussi réels que les nombres entiers
ordinaires, n’en déplaise aux scientistes qui asservissent
l’université et détournent la jeunesse de la
vérité. Mais tout le monde sait que Cantor est mort fou,
preuve ultime qu’il déraisonnait absolument à la fois sur
les mathématiques, en refusant de soumettre sa théorie
à une axiomatique en forme, et sur la religion qui engloberait
selon lui toutes les manifestations de l’âme.
Le livre que nous présentons est unique. Il traite de
façon entièrement originale des rapports entre
mathématiques et religion dans deux des écoles
mathématiques les plus créatives et les plus laïques
de la première moitié du 20e siècle,
l’école de Paris de théorie des fonctions et
l’école de Moscou. On sait bien que l’école de Moscou
dérive en partie de l’école de Paris, mais ce qu’on sait
très peu, et ce que Graham et Kantor expliquent de façon
lumineuse, c’est que les deux fondateurs de l’école de Moscou,
Egorov et Luzin, étaient profondément religieux et qu’ils
adhéraient avec leur ami Florensky à l’église
dissidente des Adorateurs du Nom. Dieu ne peut être
défini, mais il peut être nommé. Son nom participe
alors de son existence et peut nourrir la prière, la plus divine
de toutes les vertus. Nommer n’est pas définir, mais c’est une
opération suffisamment riche de sens pour entraîner
l’existence, au niveau humain le plus haut. Les auteurs de Naming
infinity observent alors qu’on trouve des considérations
symétriques dans les débats animés des trois
fondateurs de l’école de Paris, Borel, Baire et Lebesgue au
début du 20e siècle. La théorie des fonctions doit
s’affranchir des paradoxes et des postulats implicites de la
théorie cantorienne des ensembles dans laquelle on manie des
ensembles dont on ne connaît aucun élément. Quel
sens alors peut avoir le choix d’un élément ?
D’après Lebesgue, il suffirait de pouvoir « nommer »
un tel élément , à défaut de pouvoir le
définir parfaitement (par un algorithme de calcul convenable).
Pour Borel, on ne peut parler d’un ensemble que si on est capable de
« nommer » une propriété commune à
tous ses éléments, etc. Nommer pour Borel et Lebesgue
semble avoir un sens intermédiaire, plus large qu’une
détermination analytique mais très au-delà d’un
choix arbitraire, qui ne peut que dégénérer en
paradoxes linguistiques. Nommer devient pour Baire, Borel et Lebesgue
une activité démiurgique qui assure à leurs
théorèmes une sorte de certitude supérieure.
De tels discours ne sont plus de mise en mathématiques (comme en
théologie), remplacés par la méthode axiomatique
qui ne prétend plus définir ni même nommer quoi que
ce soit, autrement que par des systèmes d’axiomes
réputés minimaux et non contradictoires. Mais on sait
bien qu’en réalité une notion mathématique ne se
met à exister véritablement, à être
adorée, prônée, invoquée que si elle est
bien nommée. En tout cas, pendant quelques années, cette
façon de se poser des questions a animé des débats
très riches qui ont conduit à l’élaboration de
théories mathématiques majeures, la théorie
moderne des fonctions, la théorie descriptive des ensembles, et
par ricochet la nouvelle analyse fonctionnelle qui domine tout le
siècle. On comprend en tout cas qu’Egorov et Luzin aient
été fascinés par la théorie parisienne des
fonctions, qui savait nommer les infinis sans s’égarer jamais,
et qu’ils aient décidé d’orienter vers de telles
études la nouvelle Université de Moscou, celle
issue de la Révolution de 1917, lorsque tout était
possible encore. Non content de s’y orienter, l’Ecole de Moscou va
devancer bientôt assez largement l’école de Paris,
décimée par la guerre et prise de doutes. Borel, Baire et
Lebesgue se sont persuadés assez vite qu’ils n’étaient
pas des dieux, pas même des demi-dieux et qu’ils ne s‘aimaient
plus. Or pour nommer il faut croire et aimer. À Moscou, Egorov
était un saint au visage d’icône, Luzin l’était
moins, mais il craignait Dieu, et il avait réussi à
réunir autour de lui une pléiade de jeunes
mathématiciens dont certains étaient exceptionnellement
brillants, la Lusitania, une société unique dans
l’histoire des mathématiques mondiales, tour à tour
adulée et tyrannisée au gré des caprices et des
terreurs de Staline, dont Graham et Kantor nous racontent l’histoire.
Pour faire un tel livre, il fallait maîtriser mille
difficultés techniques, pénétrer des cultures peu
connues ou totalement inconnues et surtout ne pas se payer de mots sur
un sujet où ce sont les noms qui importent, des noms qui font
revivre une histoire passionnante, écrite magnifiquement, aux
détours innombrables, où l’on ne se perd jamais, et qu’on
lit comme un roman, sans que jamais les notions mathématiques,
qui s’y trouvent nécessairement, ne soient
dégradées par des approximations douteuses ou des effets
de style (et d’ignorance). Les deux auteurs cumulent un ensemble de
compétences rares, slavisme, mathématiques, histoire des
sciences et des idées …, qui font de ce livre un plaisir de
l’esprit et une source inépuisable d’informations et de
questionnements pour un public très large sans culture
mathématique ni théologique particulière. Ajoutons
la qualité des illustrations dont certaines sont superbes, la
couverture par exemple, qui reproduit un tableau représentant le
père Florensky, l’ami et le condisciple de Luzin dont il est
beaucoup question dans le livre, méditant aux côtés
du philosophe Sergei Bulgakov qui semble foudroyer du regard on ne sait
quel concept mal nommé.
Le seul reproche qu’on puisse faire à cet ouvrage exceptionnel,
c’est qu’il soit disponible seulement en langue anglaise.
Espérons qu’il sera bientôt traduit en français et
en russe, pour toucher le très large public qu’il mérite.
Bernard BRU,
mathématicien et historien des mathématiques, Professeur
émérite à l’Université Paris V.
Des critiques positives dans, entre autres The Los Angeles Times, The
Chicago Tribune, Scientific American, et le livre a été
choisi comme “Book of the Week” par le
Times Higher Education Supplement.
Starred Reviews
How did a country wracked by civil war, devastated by famine, and
overshadowed by tyranny incubate a major breakthrough in modern
mathematics? In the origins of descriptive set theory, Graham and
Kantor (both self-described secular rationalists) confront the puzzling
cultural dynamics that converted religious mysticism into mathematical
insight. The authors particularly probe the surprising way that a
religious heresy (Name Worshipping) emboldened the Russian
mathematicians who finally surmounted the theoretical difficulties that
had overwhelmed earlier pioneers in set theory. Though readers
unschooled in higher mathematics may stumble over some concepts (such
as denumberable subsets or the hierarchy of alephs), the authors
generally succeed in translating principles into a nonspecialist’s
vocabulary. Readers thus share in both the perplexities of the French
rationalists defeated by the mysteries of infinite sets and the
triumphs of the Russian scholars who penetrated those mysteries by
deploying strategies strangely similar to devotional practices for
naming the Divine. But the authors illuminate more than the psychology
of a mathematical revolution; their narrative also exposes the tangle
of ideological ambitions and sexual passions that transformed some
brilliant researchers into treacherous tools of Soviet inquisitors and
doomed others as their victims. A candid and searching analysis,
restoring human drama to seemingly sterile formulas.
Review
The intellectual drama will
attract readers who are interested in mystical religion and the
foundations of mathematics. The personal drama will attract readers who
are interested in a human tragedy with characters who met their fates
with exceptional courage. --
Freeman Dyson
At the end of the nineteenth
century, three young French mathematicians--Émile Borel,
René Baire and Henri Lebesgue--built on the work of Georg Cantor
to conceive a new theory of functions that in a few years transformed
mathematical analysis. When their work met with skepticism, they began
to doubt it and abandoned further investigation. In Russia, under the
leadership of Dmitry Egorov, a group of Moscow mathematicians picked up
the torch. Animated by a mystical tradition known as Name Worshipping,
they found the creativity to name the new objects of the French theory
of functions. And they changed the face of the mathematical world. --
Bernard Bru, emeritus, University of Paris V
A passionate confluence of
mathematical creation and mystical practices is at the center of this
extraordinary account of the emergence of set theory in Russia in the
early twentieth century. The starkly drawn contrast with mathematical
developments in France illuminates the story, and the book is electric
with portraits of the great mathematicians involved: the tragic, the
unfortunate, the villainous, the truly admirable. The authors offer an
account of Infinity that is brief, deft, serious, and accessible to
non-mathematicians, and their evocation of the mathematical circles of
the period is so intimately written that one feels as if one had lived,
worked, and suffered alongside the protagonists. Graham and Kantor have
given us an amazing piece of mathematical history.
--
Barry Mazur, Harvard University
This book is a wonderful and gripping account of a very important
chapter in the history of 20th-century mathematics. Graham and Kantor
challenge many "common wisdoms" and common myths about mathematics,
religion, and mathematicians. It reminds us that the story behind the
mathematics is often much more exciting than mathematics itself.
Doron Zeilberger (Rutgers University ).
Drexel University The Smart Set